Témoignage: Nick Nostitz dans la zone de mise à mort
16 mai 2010 par Nick Nostitz
Traduit de New Mandala
Assis là à la maison, je me demande si ce jour, le 15 mai, était réel, ou si c’était tout simplement un cauchemar terrible. Jamais dans toute ma vie je n’avais été si effrayé. Je pensais que j’allais mourir ce jour-là.
À l’heure du déjeuner je suis allé à Samliem Din Daeng pour observer les manifestants. Il y avait quelques manifestants autour, pas plus que quelques centaines. Beaucoup de débris des affrontements de la nuit dernière. Un camion militaire brûlé, encore fumant. Les gens ont apporté des pneus pour construire des barricades. Un camion citerne d’eau municipale a été introduit.
Après un moment, les manifestants ont déplacés le camion en direction de la rue Rajaparop vers les lignes militaires, pour l’utiliser comme une barricade contre les tirs de l’armée. Quelques manifestants ont apportés quelques dizaines de pneus pour construire une barricade. Un des manifestants a plaisanté devant les caméras des photographes avec une fronde: “Voyez – voici nos armes contre les soldats”.
Les manifestants ont déplacé les pneus sur cette même rue, en face de la station-service Shell près de Soi Rang Naam. Je me suis placé en couverture à la station-service, dans le cas où l’armée aurait ouvert le feu. Et, en effet, tout de suite après, l’armée a ouvert le feu. Peut-être à 5 mètres de moi, dans la rue, un petit groupe de manifestants se trouvaient coincé derrière les pneus tandis que les balles sifflaient. Cela a fait un bruit écœurant quand des balles ont touché le manifestant qui venait de plaisanter avec nous – dans le bras et dans le ventre. Quelques manifestants de notre côté ont essayé de lancer une corde pour tirer le manifestant blessé vers nous, mais cela n’a pas fonctionné. Les tirs n’ont jamais cessé. Un autre manifestant, qui avait essayé de ramper, a été touché à la jambe et à l’épaule. Un homme a réussi à courir vers nous. J’ai commencé à perdre toute notion du temps. De nouveau, un autre manifestant a réussi à nous rejoindre. Un autre homme a été touché au bras. Au bout d’un moment, les deux hommes légèrement blessés ont couru vers nous, l’un d’eux s’est couché et s’est mis à ramper pour plus de sécurité. Je craignais qu’il n’ait été frappé de nouveau.
Avec terreur, j’ai réalisé que les soldats commencent à se diriger pour nous. Des coups de feu ont touché la station-service. Je me suis caché d’abord derrière une voiture garée là, mais j’avais un mauvais pressentiment comme quoi j’étais très mal placé, et j’ai dû me sauver aussi vite que je pouvais. J’ai couru aux toilettes, située à environ 40 mètres, me rendant compte qu’on me tirait dessus pendant que je courais. Mes jambes ont presque volé tellement j’étais effrayé.
Juste après, l’homme blessé au ventre a été traîné là aussi. J’ai pris quelques photos, et j’en ai fait sur le mur ainsi. J’ai sauté dans un joli jardin avec une maison principale et deux pavillons en bois. A l’arrière se trouvait quelques journalistes et des manifestants. Les gens qui y vivaient nous ont donné de l’eau. J’ai vu que le blessé avait été traîné vers le mur et j’y suis allé pour essayer de l’aider. J’ai entendu des soldats courir dans la station d’essence derrière le mur. Les deux personnes qui avait traîné l’homme blessé ont couru se réfugier dans la maison. Je ne pouvais rien faire de plus, et me suis collé derrière des buissons contre le mur. J’ai vu le blessé glisser dans un petit bassin à coté du mur, peut-être à une dizaine de mètres de moi.
Derrière le mur, à la station d’essence, j’ai entendu les soldats crier. Certaines personnes devaient encore se trouver dans les toilettes. Soudain il y eut une longue rafale de coups de feu, j’ai vu des balles voler au dessus du mur. J’ai entendu supplier en criant ainsi qu’un bruit qui ressemblait à des bottes frappant un corps. J’étais plus effrayé que jamais je ne l’avais été dans ma vie, d’être coincé derrière ce mur. J’ai prié pour que personne ne m’appelle sur mon téléphone mobile. J’étais terrifiée par la possibilité que les soldats fassent tout simplement feu sur le mur, car ils devaient savoir que des gens se cachaient là.
J’ai entendu un soldat ordonner de sortir sinon nous serions abattu. Au début je pensais qu’il s’adressait à moi, mais j’ai vu sa tête au-dessus du mur qui criait vers l’homme dans le bassin. J’ai décidé de signaler ma présence en criant que j’étais un journaliste étranger et en demandant de ne pas me tirer dessus. J’ai répété cela à plusieurs reprises avant que le militaire ne semble s’apercevoir de ma présence. J’ai montré mes mains ouvertes et il m’a ordonné de sortir. J’ai marché vers lui en lui expliquant que l’homme dans l’eau avait reçu une balle dans le ventre et avait aussi une vilaine blessure au bras. Il était en train de flotter dans le bassin, son visage et son ventre à peine hors de l’eau.
Le soldat m’a ordonné de le sortir. Un autre soldat avait également sauté par-dessus le mur et un troisième assurait la sécurité par-dessus le mur. Alors que j’essayais de tirer l’homme hors de l’eau, il implorait de l’aide d’une voix très faible disant qu’il ne pourrait plus tenir très longtemps. Il était trop lourd. J’ai demandé à l’un des soldats de m’aider. En tirant brutalement l’homme, il criait qu’il aurait dû être mort et que, comme il avait survécu, ils allaient être obligés de l’emmener à l’hôpital et qu’il ferait mieux de mourir. Ensuite il s’est éloigné.
Le blessé a glissé dans le bassin. Le second soldat m’a aidé à le sortir, tandis que le premier continuait à crier. Le soldat qui assurait la sécurité par-dessus le mur m’a ordonné de prendre soin de l’homme. J’ai expliqué que je n’ai aucune idée comment faire – il avait une grave blessure au ventre, et j’ai soulevé la chemise de l’homme pour la montrer au soldat. Je m’agenouillais. Le soldat m’a demandé de lever le bras du blessé et le tourner de l’autre côté car ce dernier ne pouvait plus respirer. Je l’ai fait, tandis que le blessé gémissait de douleur.
Les soldats ont apporté une civière, et m’ont ordonné de ne pas prendre de photos. Le premier soldat s’est dirigé vers la maison. Je lui ai expliqué qu’il y avait plusieurs journalistes étrangers là-bas. Sous la menace de son arme, il les a fait sortir, et leur a ordonné de porter le blessé sur la civière à travers la porte du mur menant à la station-service. Je me suis assis dans la maison, je me suis presque évanoui, mes mains tremblaient.
Il m’a fallu beaucoup de temps pour me calmer un peu. Nous avons entendu les sirènes des véhicules de secours et des tirs de soldats dans la station d’essence. Les habitants de la maison nous ont fait du café. Ensuite, un photographe de Neow Na a réussi à communiquer par téléphone avec le monde extérieur, et a expliqué que nous étions coincés ici – le correspondant du journal Spiegel Thilo Thielke, une équipe de télévision indonésienne, un photographe local qui travaillait pour ABC, moi, et quelques manifestants qui étaient resté sur place se sentant protégé par la présence de journalistes étrangers.
J’ai appelé ma femme et plusieurs de mes collègues à l’extérieur pour leur dire que j’étais en sécurité. Nous avons appris que d’autres journalistes avaient été blessés. Nous demandions au téléphone d’essayer de nous faire sortir. Les tirs ont continué pendant une longue période. Au loin, nous avons entendu quelques explosions de grenades M79. Nous n’avons pas entendu de tirs en direction de Samliem Din Daeng. Apparemment le CRES, y compris le Premier ministre, avaient eu une réunion de haut niveau nous concernant. Les personnes propriétaires de la maison nous ont offert à manger. Le propriétaire parlait couramment l’allemand car il avait vécu de nombreuses années en Allemagne, et y a travaillé à une dizaine de minutes à pied de l’appartement de mon père.
Quand nous avons fini de dîner, on nous a dit de sortir par la porte principale du mur, vers la station-service, et de marcher en direction des soldats à Soi Rang Naam. Nous avons demandé aux soldats de nous chercher car nous avions peur de marcher dans la rue. On nous a répondu que les soldats seraient alors pris pour cible et que donc, ils ne pouvaient pas nous chercher. Nous avons décidé que nous devions trouver un autre chemin à l’abri du mur. Il commençait à faire nuit. On nous a expliqué que des snipers se trouvaient sur tous les gratte-ciel, et que des inconnus pouvaient attaquer les soldats, et que par conséquent il était impossible de nous chercher.
Nous avons téléphonés plusieurs fois pour demander le meilleur moyen de se mettre en sécurité. Puis, nous sommes monté sur le mur avec une échelle, où un homme est venu nous chercher. Ensuite, les tirs ont recommencé, assez proche de nous, nous avons dû nous rendre dans un immeuble d’appartements pour notre sécurité. Après quelques discussions, nous nous sommes décidés sur le chemin à prendre, un autre mur qui longeait une petite ruelle. Des gens s’y trouvaient. Nous leur avons demandé le chemin le plus sûr. Au bout de la ruelle, il commençait à faire sombre, très sombre. Quelques manifestants Chemises Rouge se trouvaient là. Nous étions sous le pont à Samliem Din Daeng.
Regarder la ruelle sur la droite, c’était comme regarder dans l’abîme, la fumée et l’obscurité pure dans laquelle le pont avait disparu. Nous avons tourné à gauche, vers Victory Monument. Quelques personnes se cachaient dans l’ombre. Bientôt nous avons pénétrés en zone plus sûr, avec beaucoup d’habitants flânant devant leurs maisons. Quand je suis arrivé à Victory Monument, j’ai entendu chanter des moines. Plus d’une centaine de moines assis devant le monument, priaient pour la fin de la mise à mort. J’ai pris un moto taxi pour rentrer. J’avais dû laisser ma moto en stationnement dans une ruelle se trouvant en plein dans la zone de mise à mort.